Le grenier - Retrouvailles

#10 : Où Alessandra vient toquer à la porte de son grand-père

Les lettres d'Élise
4 min ⋅ 26/10/2025

Bonjour, bonsoir,

Dans les deux dernières lettres, vous avez découvert Giuseppe, le grand-père dans le grenier de sa maison, puis Alessandra, sa petite-fille, de retour pour quelques temps dans sa famille.

Aujourd’hui, les deux protagonistes se retrouvent enfin et ont plein de choses à se raconter après une demi-année sans se voir. Giuseppe parlera-t-il à Alessandra du mystérieux trou découvert quelques temps plus tôt ? Ou laissera-t-il encore planer le suspense ? A vous de le découvrir !

Bonne lecture ! Et ne prenez pas peur si on parle de physique ou de quantique. Ca va bien se passer 😉 !

Sa valise à la main, Alessandra monta les marches menant au premier étage en essayant de se dégager de toute pensée néfaste. Arrivée sur le palier, elle se sentait déjà plus légère et entama l’ascension du deuxième étage avec hâte. Son grand-père avait une nouvelle lubie, avait dit sa mère. De quoi pouvait-il être question ? 

Peut-être maintenant serait-elle capable de lui expliquer certaines choses ? Ils pourraient confronter leurs idées, elle lui relaterait les dernières théories de physique qu’elle tentait elle-même de comprendre à l’université. 

Encore quelques marches et elle atteint le palier du deuxième étage.  

Sa chambre à elle était sur la gauche, elle y entra en coup de vent pour poser la valise qui pesait au bout de son bras et ressortit aussitôt pour toquer à la porte de son grand-père. Pas de réponse. Peut-être dormait-il ? 

Elle poussa délicatement la porte qui s’ouvrit sur une grande chambre, meublée d’un lit à peine fait, d’une commode encombrée de pierres, de cristaux, de maquettes diverses et de livres empilés, ouverts, cornés, retournés, lus et relus avec l’avidité du chercheur curieux. 

Sous la fenêtre, assis à un grand bureau tout aussi chargé, Nonno était penché sur un livre, un crayon à la main. Ses grosses lunettes tombaient sur son nez, il les remit en place en poussant avec son index gauche tandis que sa main droite soulignait doucement quelques lignes dans le livre ouvert. 

- Nonno ? C’est Alessandra, je suis rentrée. 

- Ah, ma petite fille ! Te voilà. Quelle bonne nouvelle. Entre, entre, dit le vieil homme en se levant pour l’embrasser. Tu m’as manqué, ma petite. 

- Toi aussi, Nonno, répondit-elle en l’embrassant sur les deux joues. Mais je te dérange, tu étais en pleine lecture. 

- Hum, ça ? reprit le grand-père en montrant du menton le livre annoté. Je t’en parlerai tout à l’heure. J’essaie de comprendre une découverte que j’ai faite récemment. Mais d’abord, viens me donner de tes nouvelles. 

Giuseppe poussa gentiment l’étudiante vers un des deux fauteuils en velours sur laquelle elle s’assit. Il s’installa sur celui d’en face, et pris la carafe qui attendait sur le plateau laqué de la table basse pour servir deux verres d’eau. 

- Alors, reprit-il, comment cela se passe à l’université ? Sur quoi travailles-tu ? 

Il l’interrogeait avec l’envie de celui qui aurait aimé connaître ce berceau des savoirs, elle répondit avec l'excitation de partager enfin avec quelqu’un son expérience étudiante. Elle raconta en détails les cours magistraux pendant lesquels les tableaux noirs se paraient d’équations à toute vitesse, les amphithéâtres qui s’étaient vidés en troisième année, les travaux pratiques pendant lesquels les professeurs se plaisaient à piéger les étudiants en cachant le matériel à utiliser. Elle raconta aussi la vie dans l’appartement qu’elle partageait avec deux autres jeunes femmes, Lucia, étudiante comme elle, et Giulia qui travaillait dans une banque, les soirées qu’elles passaient à imaginer leur destin, “tu te rends compte, Nonno, elles ne pensent qu’à se marier et se caser. Moi, ça ne m’intéresse pas. Je préfère la science”. Elle expliqua enfin avec la plus grande fierté qu’elle avait été retenue pour rejoindre le laboratoire du professeur de physique le plus reconnu de l’université, le professeur Hartz, à côté de quatre étudiants qui ne lui avaient fait aucun cadeau depuis le début de leurs études et qui lui menaient la vie dure pendant leurs journées à préparer et réaliser des expériences. 

- Sur quoi travaillez-vous dans le laboratoire de ce professeur Hartz ? 

- Le professeur est un grand admirateur des travaux d’Enrico Fermi sur la physique nucléaire. C’est pour cela qu’il a quitté l’Allemagne pour venir en Italie. Il aurait voulu rejoindre l’université de Rome où travaillait Fermi, mais il a d’abord eu une place à Bologne. Et maintenant, Fermi vient de partir pour les États-Unis mais je ne crois pas que Hartz pourra le rejoindre de si tôt. Il va rester quelque temps encore ici. 

- D’accord, d’accord, mais tu as parlé de physique nucléaire. Tu pourrais m’en dire plus. Est-ce lié à cette nouvelle physique quantique ? demande Giuseppe avec un regard plein d’intérêt. 

- Eh bien, oui, c’en est une partie. Hartz veut reproduire les expériences de Fermi pour mettre en évidence de nouvelles particules. Nous passons ainsi nos journées à bombarder des éléments pour faire apparaître des neutrons, des protons, des électrons…

A mesure qu’Alessandra détaillait son travail, les yeux de son grand-père s’ouvraient plus grand. Elle connaissait sa passion des sciences physiques, lui qui avait renoncé aux études universitaires par amour pour sa grand-mère Anna et qui avait été un ingénieur talentueux à la société des chemins de fer florentins pendant plus de quarante ans. Mais cet après-midi, il montrait une curiosité encore plus vive pour les explications d’Alessandra. Il se leva et prit sur son bureau le livre qu’il annotait quand Alessandra l’avait rejoint. Il le tendit à la jeune femme qui lu, sur la couverture de cuir bleu foncé, sobrement écrit en lettres dorées et en anglais : The Principles of Quantum Mechanics, Paul Dirac. 

Ce n’est pas tant le sujet qui la surprit : 

- Tu sais lire l’anglais, Nonno ?

- Non, pas facilement, mais je m’accroche car j’ai besoin de comprendre toutes les nouvelles théories de ces physiciens. Tu veux savoir pourquoi ? 

- Nonno, tu t’es intéressé aux sujets les plus ardus et les plus tordus pendant toute ta vie. Plus rien ne me surprend. 

- Oui, mais cette fois-ci, c’est différent. Ce n’est pas de la curiosité. Il y a quelque chose que je veux comprendre. Un  phénomène étrange, là, tout près de nous. 

- Si tu veux piquer ma curiosité, tu as gagné. De quoi parles-tu ? 

Le vieil homme se tut, mystérieux. Il ôta ses lunettes pour les nettoyer consciencieusement avec un pan de sa chemise.

- Il va être l’heure du dîner, je ne peux rien te dire maintenant. Ou plutôt rien te montrer maintenant. Demain matin, à la lumière du jour, nous monterons au grenier et je te montrerai tout. 

- Mais, Nonno, dis-moi au moins de quoi il s’agit. Je vais y penser toute la nuit ! 

- Non, je veux que tu vois d’abord et là, ce n’est plus l’heure.

Comme pour lui donner raison, l’horloge sonna dix-neuf heures. 

- Tu entends ? Le repas est servi bientôt et il faut que je me prépare. 

Alessandra comprit qu’elle ne tirerait plus rien de Giuseppe maintenant, et repartit vers sa chambre. Elle était arrivée depuis le début de l’après-midi et n’y avait encore presque pas mis les pieds. Elle ouvrit sa valise sur son lit, commença à remplir les placards de ses quelques vêtements sans prêter attention à ce qu’elle faisait. Qu’elle avait hâte de découvrir cette chose mystérieuse dont son grand-père faisait secret !

Les lettres d'Élise

Les lettres d'Élise

Par Élise Émoi

Parce qu’il est temps de partager les mille et une fictions, courtes ou plus longues, qui peuplent ma tête, j’ai créé les Lettres d’Élise.

Quelques lignes, quelques pages pour laisser l’histoire vous emporter, à partager sans modération.