Pourquoi j'écris ?

#6 : Le temps d'une pause dans la fiction

Les lettres d'Élise
4 min ⋅ 23/03/2025

Bonjour !

Aujourd’hui, j’ai envie de vous écrire une lettre un peu différente, un peu plus personnelle peut-être, sans fiction en tout cas. Quand j’ai lancé la première lettre d’Élise, il y a quelques semaines, j’ai reçu plusieurs réactions qui m’ont donné envie de creuser cette question : pourquoi j’écris ? C’est un questionnement légitime et la réponse va chercher dans l’intime. Pourtant de manière assez paradoxale, cette lettre numérique me semble poser la distance suffisante pour que je puisse tenter de répondre.

Pourquoi écrire ? Est-ce une envie ? Un besoin ? Un peu des deux sûrement. Quand l’histoire se met à bouillonner dans ma tête, que les personnages se dessinent, que les scènes s’ajustent, je ressens un besoin intense de mettre cela sur le papier. Or, ce n’est pas tant le processus d’écriture qui me pousse que l’envie d’aboutir à l’histoire finalisée pour la lire comme je la vois, ou la vis, dans ma tête.

Je couds depuis plusieurs années et j’expliquais ça un jour à une amie couturière : je ne couds pas pour le plaisir d’assembler et de modeler des pièce de tissus mais pour l’envie d’avoir l’objet fini et de le voir correspondre à ce qu’il est dans ma tête. Je pourrais donc dire que j’écris comme je couds, pour la finalité plus que pour le cheminement qui y amène.

Mais il n’est donné à personne de produire un vêtement ou un texte sans travailler, sans échouer, sans apprendre. Alors, sans cesse sur le métier, je remets mon ouvrage en guettant l’arrivée du mot “fin” ou le dernier bouton à coudre. Car plus le temps passe, plus je couds, plus j’écris, plus j’ai envie de soigner l’objet et d’avoir de belles finitions, des descriptions justes et légères, des dialogues ciselés, des phrases qui s’écoulent au rythme de l’action.

Sans aucun doute, j'écris aussi pour la justesse des phrases et pour la poésie des mots. Pour cette joie intérieure quand ils ont jailli à l’écran et que je les trouve parfaitement ajustés, assemblés et sonnant à mes oreilles avec la bonne mélodie. J’écris pour cette plénitude quand la scène se déroule dans le texte exactement comme elle est dans mon esprit. Pour cette exaltation, quand les images viennent et s’assemblent les unes après les autres pour aboutir à un décor impeccable.

J’aime écrire pour raconter une bonne histoire, certes. Mais écrire pour peindre avec les mots, pour dessiner en quelques phrases l'espoir du printemps dans l'air quand soudain le soir commence à tomber plus tard, quand le parfum de mars prend au nez au détour d'un arbre en fleurs, quand les enfants sortent de l'école les joues rouges et le manteau noué à la taille. Écrire pour la magie des mots et en une ligne faire ressentir le réconfort d'une main posée sur l'épaule à l'annonce d'une mauvaise nouvelle, la curiosité qui pousse à soulever le rideau pour voir ce qu’il y a derrière ou le désir qui bat sous la peau et tend les corps l'un vers l'autre. Pouvoir choisir des mots simples et délicieux comme des notes précieuses, des touches de couleurs assemblées avec harmonie, des pirouettes élevées et célestes. Écrire pour la poésie, oui, tellement. 

J’aimerais partager avec vous trois livres, lus à trois périodes différentes, qui illustrent pour moi cette magie de l’écriture, cet art d’aligner les mots pour faire naitre la poésie, l’exaltation des cœurs ou la complexité d’une situation.

  • Les iris bleus, de Nita Rousseau (1992) : C’est un court livre, que j’ai lu pour la première fois au collège, puis cent fois ensuite (au moins !). Roman simple en apparence, il raconte l’enfance de Jeanne, fille d’ambassadeur, au cœur de l’Afrique coloniale des années 60. Ici, la complexité se cache dans les phrases courtes mais ciselées, précises et pleines d’images. L’héritage familial pesant, la vie quotidienne dans la chaleur africaine, la relation de la petite fille à son entourage, tout passe dans des adjectifs suggestifs choisis avec soin, des noms propres mystérieux.

  • Belle du Seigneur, d’Albert Cohen (1968) : Dans ce monumental pavé, que j’ai longtemps observé un peu intimidée dans la bibliothèque familiale, ce n’est pas tant le récit que l’écriture si particulière qui m’a marquée. A l’inverse du premier livre, tout est dépeint dans une pluie d’adjectifs et de qualificatifs, les sentiments sont fouillés jusque dans leurs moindres recoins, les phrases s’écoulent sans fin (17 pages sans un point pour la longue tirade de Solal, dans l’édition originale de Gallimard !). On embarque dans ce texte sans savoir où et comment on ressortira, mais que c’est beau.

  • L’arbre-monde, de Richard Powers (2018) : Il est question dans ce livre d’arbres qui relient les êtres, de conscience écologique, de destins mêlés. Là encore, la force de l’écriture a laissé en moi une trace indélébile et une admiration absolue. Les scènes sont décrites avec une minutie et une précision à couper le souffle, l’auteur arrive à nous faire sentir le vent dans les branches ou les muscles ramollis par l’effort ou le handicap. On perçoit l’énorme travail de recherche de l’auteur, sans pour autant qu’il y ait des lourdeurs ou des mots en trop.

Je ne voulais pas étendre trop cette liste pour éviter l’effet catalogue et limiter la longueur de la lettre, mais je ne peux résister au plaisir de vous parler aussi d’un des derniers livres qui m’a accompagné en 2024 : Un monde à portée de main, de Maylis de Kerangal.

Je suis à chaque fois subjuguée par l’écriture de Maylis de Kerangal et dans celui-ci, la magie a, encore une fois, largement opéré. On suit la formation et le parcours de trois jeunes peintres, dont le talent se développe non pas pour créer des tableaux, mais pour réaliser des décors en trompe-l’œil. Imiter la pierre, les nuages, des planches de bois. Il y est question de textures, de matières, d’apprentissage et de “savoir-voir”, que l’autrice dépeint dans des descriptions très visuelles, intenses, presque physiques. Le sens du rythme est très présent, là encore avec certaines phrases à rallonge ou à l’inverse très courtes, et on plonge avec plaisir dans les marbres, les bois, les décors de cinéma.

Voilà, ce qui me pousse, c’est tant l’envie de transcrire sur papier ou écran des histoires parfois banales, parfois alambiquées, que de tenter de l’écrire avec justesse et poésie. Et, je ne vous le cache, le plaisir de partager ces petits bouts d’aventure avec vous !

A votre tour, vous qui écrivez, peignez, composez, créez en assemblant couleurs et tissus, que sais-je encore, vous me partageriez ce qui vous anime dans votre processus de création, ce qui vous fait vibrer ou parfois vous bloque ?

En attendant de vous lire, je vous dis à bientôt pour une prochaine lettre, avec le retour de fictions et d’aventures.

Elise

PS : je vous le dis tout bas (et tout en bas) : en février, j’ai participé à un atelier d’écriture sur la nouvelle et celle que j’ai écrite a été sélectionnée par la newsletter du magazine Lire ! Si vous êtes curieux, vous pouvez lire cette newsletter en cliquant ici et mon texte en lien dans celle-ci. Il y a des chances que vous retrouviez cette histoire dans quelques lettres.

PS encore : Si cette lettre vous a inspiré, vous savez que vous pouvez la partager avec votre entourage. Il suffit de faire suivre le mail !

Les lettres d'Élise

Les lettres d'Élise

Par Élise Émoi

Parce qu’il est temps de partager les mille et une fictions, courtes ou plus longues, qui peuplent ma tête, j’ai créé les Lettres d’Élise.

Quelques lignes, quelques pages pour laisser l’histoire vous emporter, à partager sans modération.