# 1 : Ou comment débuter l'aventure
Bienvenue par ici !
Ici, c’est un espace où je partage les histoires qui peuplent ma tête et mon disque dur. Certaines prennent forme et méritent de sortir se confronter à des lecteurs. Il s’agit essentiellement d’histoires de fiction, en un ou plusieurs épisodes.
Soyez indulgent, la forme et la fréquence risquent d’évoluer pas mal au début, le temps de trouver les bons réglages.
Comme ouverture, je vous propose un texte écrit récemment pour un appel à texte, dont le thème était “Un monstre sous le lit”. Ce sera une histoire en deux épisodes. Tremblerez-vous à la lecture ? Moi, j’ai le cœur qui bat et les mains moites au début de cette nouvelle aventure, mais c’est parti, je me lance !
Bonne lecture.
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Un monstre sous le lit : Trouvez la sortie
Je fronce le nez en prenant un des bocaux posés sur le buffet de la cuisine. Je le tourne dans tous les sens pour essayer de comprendre ce qu'il contient. On dirait des billes ou des bonbons gélatineux plongés dans un visqueux liquide verdâtre. Impossible de savoir si ça se mange, ou si c'était mangeable il y a longtemps. En tout cas, je ne trouve aucun indice dans ce bocal dégoûtant. Je le repose et fais le tour de la pièce. Des placards aux portes bancales et qui ferment mal, la peinture vert pâle des murs qui s'écaille par endroit, l'évier en céramique blanche mais sale, tout laisse penser que cette cuisine n'a pas été rénovée depuis des années. Le frigo est couvert de vieilles photos écornées que mes trois amies ont déjà scrutées avec attention. Elles sont maintenant réunies autour de la table en formica recouverte d'une nappe à carreaux en toile enduite et récapitulent les différents indices que nous avons déjà rassemblés. Clara s'est assise sur une des chaises dépareillées et se balance doucement. Ses longs cheveux noirs oscillent au rythme de ses mouvements.
Voilà au moins quarante minutes qu’on est entrées dans ce vieux manoir et la cuisine est la cinquième pièce que nous explorons.
En arrivant, nous avons assez vite trouvé le premier indice, caché sous le porche entre les fausses toiles d'araignées et les os en plastique. Nous avons donné le mot de passe à la créature de Frankenstein qui barrait la porte d'entrée et avons entamé la partie. Depuis, nous sommes allées de surprises en frayeurs.
C’est Annette qui a choisi cet escape game pour son treizième anniversaire. Sa mère a entendu parler de ce tout nouveau lieu par un lointain cousin, d'après ce qu'elle m'a dit. Elle a réservé en avant-première pour l’occasion. Annette, c'est ma meilleure amie et d’aussi loin que je me souvienne, elle a toujours adoré fêter son anniversaire au moment d’Halloween même si c’est un peu en retard par rapport à sa véritable date de naissance. Petites, on se déguisait en sorcières, on fabriquait des baguettes magiques en papier crépon et on imaginait des potions bizarres avec les bonbons que l'on récoltait. Quelques années plus tard, nous fêtons toujours son anniversaire au moment d’Halloween, mais dans un faux manoir hanté et en compagnie des deux autres roues du carrosse, Zoé et Clara.
Pour l’instant, regroupées dans la cuisine, nous séchons sur l'indice suivant. Un sifflement strident retentit, et nous fait sursauter. Zoé pousse un cri d’effroi. C'est la plus jeune et la plus peureuse de nous quatre.
— Calmez-vous les filles, ce n’est que la bouilloire, fait remarquer Clara avec un ton nonchalant.
Nous pouffons de rire en réalisant notre méprise.
— Vous êtes vraiment des froussardes, dis donc.
— Toi aussi, t’as sursauté, lui rétorque Annette.
— Pas du tout. Je vous rappelle qu’on est dans un jeu et que tout est fait pour qu’on ait peur. Y’a rien de vrai dans tout ça !
— On est peut-être dans un jeu organisé, réplique Zoé en fronçant les sourcils, mais tout le monde sait que cette maison est hantée. Avant de devenir un escape game, elle est restée inhabitée pendant des décennies. Personne ne sait vraiment pourquoi elle a été abandonnée mais des histoires horribles circulent. On dit qu'une sorcière a vécu là et qu'elle est morte en faisant une erreur dans ses potions. On ne l'aurait retrouvé que des mois plus tard, à moitié décomposée.
— Et vous connaissez la légende des amoureux, complète Annette. Une fille et un garçon qui n'avaient pas le droit de se voir, se donnaient rendez-vous tous les soirs sous le porche. Un jour, ils ont disparu et on les a retrouvés, dans le salon, enlacés mais morts. On ne sait pas de quoi, c'est comme s'ils avaient été frappés par la foudre ou par une force mystérieuse.
Annette baisse la voix pour laisser planer le mystère. Clara avance alors vers Zoé, les bras droits devant elle, en prenant une voix de zombie :
— Et la légende des zombies qui vont surgir du placard pour nous dévorer, vous la connaissez ?
Zoé, surprise, hurle de peur avant de faire résonner son rire franc et communicatif.
— Bon, les filles, c’est pas tout ça mais il faut qu’on trouve l’indice suivant si on veut sortir de là.
— Tu as raison Jeanne, en plus, ça sent vraiment mauvais dans cette cuisine, affirme Annette en masquant son nez du foulard à étoiles qu’elle porte toujours autour du cou.
Nous fouillons méthodiquement la pièce en ouvrant les placards, le frigo, le four. Zoé soulève les assiettes une à une pour vérifier s’il n’y a pas un mot glissé dans la pile. Annette plonge le nez dans la boîte métallique des céréales et le ressort aussitôt avec un air de dégoût.
— Beurk, elles sont là depuis au moins mille ans ces céréales, elles sont toutes vertes.
Nous formons une sacrée équipe toutes les quatre. Bien sûr, Annette est ma préférée, on est comme des sœurs depuis presque dix ans, ce qui n’est pas rien quand on en a treize. Annette est du genre à foncer, à vouloir vivre les choses à deux cents pour cent. Comment pourrais-je le lui reprocher ? Heureusement que je suis là pour la ramener sur Terre de temps en temps.
Dès notre arrivée au collège, nous avons tout de suite accroché avec Zoé et on ne s'est pas quittées durant les deux premières années, même pendant les vacances. Zoé est une fille très expressive. Elle adore animer la galerie et faire rire son entourage, mais elle est aussi très émotive et sacrément trouillarde. Clara est arrivée au collège cette année, au début de la quatrième. Avec son look gothique et sa façon de nous faire sentir qu’elle était meilleure que nous, on n’a pas tout de suite sympathisé. Mais Zoé a pris le temps de percer sa carapace et nous avons découvert une fille adorable et un peu déjantée comme nous. Ça fait plus d’un mois qu’on est inséparables et qu’on partage nos moindres secrets. Enfin presque tous, car Clara ne nous a toujours pas dit pourquoi elle avait déménagé et était venue s’installer dans notre ville, seule avec sa mère.
Je suis plongée dans mes réflexions quand j’entends Annette s’exclamer :
— Les filles, il y a de la farine dans un placard ?
— Oui, j’en ai vu quelque part. Attends, je cherche, annonce Clara.
— Pourquoi tu veux de la farine, demandé-je à Annette qui passe délicatement sa main sur le tissu plastifié de la nappe.
— Regarde, me dit-elle tandis que Clara lui passe le sachet de poudre blanche.
Annette en prend une grosse poignée qu’elle jette sur la nappe puis elle souffle délicatement. La poudre s’envole en un nuage épars. Elle souffle une nouvelle fois et nous voyons alors apparaître sur la nappe les mots qui forment le nouvel indice : “Trouvez le monstre sous le lit”.
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire de monstre sous le lit ? demande Clara de son air renfrogné.
— Vous croyez qu’il y a un vrai monstre ? interroge Zoé d’une petite voix.
— Je ne sais pas si c’est un vrai monstre, mais s’il est sous le lit, il n’y a pas trente-six : il faut trouver les chambres, dis-je d’un air décidé.
Nous courrons aussitôt vers l’escalier, pour atteindre l’étage où nous pensons trouver les chambres. Malgré notre précipitation, je remarque qu’il y a moins de bougies et de lustres allumés dans le couloir et le hall. Il fait plus sombre mais une étrange lumière orangée semble envelopper l’escalier et le palier au-dessus. Soudain, j’entrevois une silhouette noire accroupie derrière la balustrade. Immobile, elle regarde dans notre direction. Je n’arrive pas à distinguer son regard dans la pénombre.
— Hé ! C’est quoi ça, là-haut ?
Le temps que les trois filles se retournent vers moi puis vers le palier, la silhouette a disparu. Pourtant, je suis sûre d’avoir aperçu quelqu’un qui courait le long de la rambarde. Mon cœur résonne plus fort dans ma poitrine. Ma voix tremble un peu quand j’essaye de leur expliquer ce que je viens de voir. Annette en posant une main sur mon bras pour me rassurer.
— Il y avait… quelqu’un… ou quelque chose qui s’est mis à courir dans l’ombre quand j’ai regardé à l’étage. Quelqu’un qui nous observait.
— Non mais n’importe quoi, dit Clara d’un ton moqueur qui commence à m’agacer. C’était sûrement quelqu’un de l’équipe qui surveille pour vérifier notre progression. À tous les coups, il va déclencher quelque chose quand on sera en haut de l’escalier. Un hululement de fantômes, ou une cavalcade de souris.
— Oui, tu dois avoir raison. Avançons.
Je ne suis pourtant pas convaincue par leurs paroles rassurantes et j’avance sans entrain vers l’étage. L’ambiance de ce manoir commence à me coller sacrément les chocottes. On n’a pas raconté à Clara que certains disent avoir vu des lumières étranges aux fenêtres, au cœur de la nuit, et des silhouettes furtives danser derrière les carreaux. C’est sûr qu’elle ne nous aurait pas crues mais moi, je suis sûre qu’il y a quelque chose de bizarre dans ce manoir.
Mes jambes tremblent en montant l'escalier. En haut, aucune mauvaise surprise préparée par les organisateurs, ce qui n’est pas pour me rassurer. Après quelques mètres dans le couloir, nous entrons dans une première chambre. L’interrupteur allume une ampoule nue qui pend au plafond en clignotant.
— Alors, qui veut aller voir sous le lit ? interroge Zoé avec la voix de celle qui n’a aucune envie que ça tombe sur elle.
— J’y vais les filles, pas de panique, annonce Clara d’un air décidé.
Elle s’avance vers le lit sur la gauche de la pièce. C’est un grand lit double, recouvert d’un dessus de lit pourpre qui tombe jusqu’au sol. Clara s’agenouille devant le bord du lit. Nous retenons notre souffle quand elle soulève le tissu.
— Je vois rien. Vous avez la lampe torche ?
Annette avance et lui tend la lampe dont le puissant faisceau blanc balaye le plancher sous le lit. Clara scrute avec attention et nous, nous soupirons de soulagement en constatant qu’il n’y a rien d’horrible sous ce lit.
— Bon, eh bien, il faut passer à la chambre suivante, dit-elle en se relevant et en frottant son collant déchiré pour enlever les moutons de poussière.
Dans l’autre chambre, il n’y a qu’un lit simple, un bureau et des dizaines de cartes géographiques accrochées au mur ou sur le tableau noir au milieu de la pièce. Des cartes anciennes, jaunies, à l’écriture déliée, représentant les routes maritimes vers les Indes ou les Amériques. Sur le bureau, d’anciens outils de traçage sont rangés méticuleusement.
— Ça doit être la chambre de M. Raton, s’exclame Annette.
— Ah oui, c'est sûr ! ajoute Zoé.
Elle se met à rire bruyamment. Mon rire, un peu forcé, se mêle au sien. Clara nous regarde d’un air circonspect.
Je me lance et tente de lui raconter notre prof d’histoire de l’année dernière, avec son poussiéreux costume vert pomme et ses quelques cheveux en pétard. Passionné de cartographie ancienne, il avait essayé avec acharnement de nous apprendre à tracer des cartes comme on le faisait aux temps des grandes découvertes. Aucun élève n’avait réussi, ce qui l’avait sacrément énervé. Après cette vaine tentative, le petit homme maniaque était devenu source de nombreuses moqueries dans la cour ou à la cantine.
Pendant que je mets Clara à jour, Annette et Zoé scrutent le dessous du lit sans succès. Ni monstre, ni nouvel indice.
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La suite au prochain numéro !